O.Cathus : Pourquoi avoir créé Saceml (Salon de Auteurs, Compositeurs et Éditeurs libres) ? La SACEM
n'est-elle pas satisfaisante à vos yeux ?
Jean-Christophe Lemay :
Il n'existait pas sur le net Français, de lieu où nous pouvions nous reunir pour echanger
de l'information sur le droit d'auteur de la musique, et partager nos expériences.
C'est un domaine compliqué, ou se mêle le contractuel, le juridique, le commercial,
l'artistique etc... et il m'a semblé évident d'utiliser Internet pour mettre en commun nos
connaissances sur le sujet, pour que ceux qui en savent un plus, partagent avec ceux qui
en savent moins.
La SACEM est avant tout un organisme a qui nous déléguons la gestion de notre catalogue
d'oeuvres et des droits issus de la commercialisation de ces oeuvres. Et ca se passe
relativement bien. Par contre, elle ne délivre, et je le déplore, que très peu
d'information a ses membres sur ce qu'est le métier d'auteur, sur ses rouages et sur la
société elle-même. En 150 ans d'existence et près de 4 milliards de droits repartis en
1999, la SACEM n'a pas encore mis en place d'ateliers ou de stages à destination de ses
membres, pour les aider à mieux appréhender leurs droits et leur profession, ainsi que le
fonctionnement de la société dont ils sont adhérents. Je trouve ca hallucinant !
Il est en plus parfois assez difficile d'obtenir des infos auprès de la SACEM, même
pour nous sociétaires. C'est ce qui ressort de nos échanges sur la liste.
Je crois que la SACEM a parfois peur que de l'information lui échappe et qu'on
puisse se servir de cette information contre elle. Car comme il est dit dans
le rapport Mariani-Ducray sur les SPRD
de fevrier 2000 (Sociétés de Perception et de
Répartition des Droits d'auteur) à propos justement de l'information que délivre la SACEM notamment
à ses sociétaires: "... et très naturellement les SPRD n'ont pas tendance à délivrer une
information qui serait susceptible de porter critique à leur égard...".
Je comprends mais je ne suis pas d'accord. Il n'est pas "naturel", normal que ses propres sociétaires
aient du mal à obtenir de l'information auprès d'elle. Je trouve que la SACEM est dans une situation psychologique
générale de défense, qui frise la paranoïa. Là aussi je comprends, car elle a subie de
nombreuses campagnes médiatiques de denigrement (souvent infondés) ces derniers temps. Mais d'un autre coté
je ne peux m'empécher de trouver ce comportement assez ridicule et surtout inefficace en ces temps
de bouleversement, où elle aurait plutôt intérêt à être vraiment transparente, et à délivrer à ses
membres toute l'information dont ils ont besoin pour defendre leur société, se defendre eux-mêmes
et leurs droits, afin de leur permettre de négocier au mieux la révolution technologique qu'ils vivent.
Ceci dit, notre projet les a beaucoup intéressé, et nous venons juste de mettre en place
un protocole de communication, de circulation de l'information entre eux et nous.
Avec Saceml, nous nous réunissons également pour discuter et réfléchir a l'avenir du droit
d'auteur et a notre avenir face aux nouvelles technologie et a l'Internet. Nous sommes la
clé de voûte de tout le système, même si les majors de l'industrie du disque, les
Start-up, les médias et la SACEM elle-même ont tendances a l'oublier. Tout se discute, se
négocie et se décide dans notre dos, et nous commençons a en avoir assez. En nous
réunissant, je pense que nous pourrons developper nos idées, echanger nos points de vus,
avoir un certains poids, prendre notre place dans le débat, établir des liens avec ceux
qui décident pour nous, et avec la SACEM notamment.
O.Cathus : Les droits d'auteur tels que les défendent la SACEM sont-ils condamnés à disparaître ou
évoluer ?
Jean-Christophe Lemay :
Disparaître ? Quelle drôle d'idée ! A évoluer, c'est sur. N'oublions quand même pas, que
ce droit de l'auteur est fondamental, et qu'il est inscrit en clair (article 27.2) dans la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
La SACEM est en quelque sorte l'organisme qui nous aide
a faire appliquer ce droit.
Je trouve assez incroyable qu'on soit presque obligés, les auteurs, de nous justifier la
dessus. Ce qui n'est pas inscrit dans cette déclaration, par contre, c'est le droit des
multinationales de faire des marges financières énormes avec notre travail. La SACEM devra
évoluer, mais pas tomber dans les pièges de ceux qui voudraient encore gonfler leurs
marges, ou développer de florissants
e-commerces, en diminuant, ou en faisant disparaître la rémunération des auteurs.
O.Cathus : Quelles alternatives, quels autres modèles peut-on imaginer pour rémunérer les auteurs
dont les oeuvres peuvent être téléchargées ? Par la pub ?
Jean-Christophe Lemay :
Par la pub ? Quelle horreur ! Ah ouais .... je vois ca d'ici, la musique gratuite avec la
coupure pub au milieu du morceau !
Sans blagues, les histoires de pubs sur les sites, je ne suis pas pour. Il y a déjà assez
de contraintes exercées sur les créateurs, pour en rajouter une autre, celle des
annonceurs. Et puis on n'en a marre de la pub partout.
Je pense que la SACEM devra vraiment accélérer le mouvement, mais qu'elle a un rôle
important a jouer. Des
accords ont été passés avec des sites comme Netradio ou Francemp3,
qui assurent la rémunération des auteurs. C'est un début.
Et puis d'autres moyens commencent a faire leur chemin.
Fairtunes, par exemple. Ils se
proposent de récolter et de reverser l'argent que leur envoient *volontairement* les
utilisateurs de musique, pour les artistes. J'y crois beaucoup, parce qu'il s'agit là
d'évolution dans les consciences, et pas d'un pansement technologique. Je crois beaucoup a
la responsabilisation de chacun. Si les mélomanes réalisent que ce qu'ils donnent va en
grande partie dans les poches de ceux qu'ils aiment, il n'hésiteront pas a donner. Ils se
sentiront utiles, et plus seulement pourvoyeurs de villas sur la cote d'azur pour
producteurs.
Dans un autres registre, il y a l'exemple de
Gustave Parking, le comique français, qui
lors de spectacles a l'Olympia et au Casino de Paris, ne faisait payer les gens que 10
francs a l'entrée, et ils donnaient ce qu'ils voulaient a la sortie. Les recettes furent
supérieures a ce qu'il aurait pu espérer avec un billet a tarif normal !
Stephen King fait la même expérience avec un livre
par épisode sur son site.
Quand tu vois que BMG vient de mettre une partie de son catalogue en ligne, et qu'ils
vendent l'album en téléchargement entre 70 et 110 francs, on se dit qu'ils n'ont rien
compris, et que c'est certainement pas comme ca qu'ils enrayeront les phénomènes Napster
and co.
Et puis on peut aussi imaginer des portails associatifs, indépendants, alternatifs,
thématiques, voire a caractère éditorial prononcé, ou les auteurs se feront rémunérer
directement par les utilisateurs des musiques. La chance qu'offre le Net c'est d'éliminer
un certain nombre d'intermédiaires, et cela peut aider à responsabiliser le public quant
au fait que les créateurs ont besoin d'être rémunéré pour leur création.
Je crois très fermement qu'a terme, il ne s'agira plus du tout de téléchargement, mais
d'accès a des bases musicales ou on paiera un droit forfaitaire, mensuel par exemple, pour
écouter ce qu'on veut.
On pourra très bien savoir quels sont les titres écoutés et reverser en conséquence les
droits aux auteurs concernés.
O.Cathus : l'histoire du "business" de la musique est marquée sans cesse par une course-poursuite
entre gendarmes et voleurs, marchands et pirates. Chaque innovation technologique vient
bouleverser la donne (K7, graveur, mp3, ou même le sampler). La prochaine étape viendra
telle de la technologie ou de la législation (ou les deux bien sûr) ? Les droits d'auteur
seront-ils défendus par d'un nouveau moyen de contrôle ou de cryptage ?
Peut-on trouver un moyen de protéger la création sans brider la liberté de diffusion
apportée par le Web ?
Jean-Christophe Lemay :
L'idée de la musique gratuite et du copyleft, ce n'est qu'une énorme mascarade tant qu'on
n'aura pas trouvé et mis en place d'autres moyens de rémunérer les auteurs. Je trouve
intolérable qu'on nous prenne pour les cyber-pas-cool parce qu'on veut continuer a être
payé pour notre travail et au prétexte fallacieux qu'on empêcherait par là la liberté de
communication et de diffusion. En plus je ne pense pas qu'on puisse trouver un jour un
moyen de protection, de cryptage qui ne puisse pas facilement être craqué. Il n'y a qu'a
voir pour les logiciels. Une protection fiable, ca ne s'est encore jamais vu. D'ailleurs,
c'est encore officieux, mais on vient d'apprendre que le
SDMI, un système de marquage d'oeuvres musicales en mp3
adopté par un grand nombre de producteurs,
vient d'être craqué. En fait c'est un cadeau
que viennent de leur faire les hackers. Ca leur evitera de depenser des millions de
dollars pour une technologie sans avenir !
Si avec la technologie on a envoyé des hommes sur la lune, mais qu'on arrive toujours pas
a "sécuriser" un fichier, c'est bien la preuve que ca ne marche pas, et qu'il serait
préférable d'utiliser ces outils technologiques a d'autres fins ! Le problème vient plutôt
que certains acteurs se mettent a avoir peur des bouleversements qui s'annoncent et qu'ils
refusent d'envisager d'autres pistes que celles qu'ils connaissent déjà, par crainte de
perdre leur rôle et de disparaître. C'est une réaction de cerveau reptilien de base ! En
attendant, je suis quasi certain que de toutes façons, vue la configuration du reseau, on
n'arrivera jamais a eliminer totalement la Napster generation. Tu en fermes un, 10 qui se
créent. Il faudra faire avec, il me semble.
Ca n'empèche qu'il faut évidemment conserver et améliorer le cadre législatif, pour
limiter les dégats dans l'immédiat, et essayer de l'harmoniser un tant soit peu au niveau
mondial.
O.Cathus : Les intérêts des musiciens ne sont pas les mêmes que ceux des producteurs,des majors,
etc...Pourtant, les groupes qui avaient voulu s'affranchir de leurs labels et mettre leur
musique en téléchargement payant sur Internet se retrouve dans la même situation.
Jean-Christophe Lemay :
C'est sur que les intérêt des musiciens ne sont pas les mêmes ! Globalement, ils cherchent
a faire de la bonne musique et a gagner de l'argent. Les majors, a gagner de l'argent et a
gagner de l'argent !
Pour certains des cas dont tu parles, ce sont les pressions des majors qui ont poussé ces
artistes a retirer leurs projets du Net.
"....Il faut être un âne pour imaginer que les artistes puissent s'affranchir de nous...."
disait
Pascal Nègre, PDG d'Universal, dans l'interview qu'il a donné au JDN le
12/10/2000. Je dois donc être un de ces ânes ! Parce que j'imagine sans problèmes qu'a
terme cela puisse se faire, en tous cas en ce qui concerne les structures et
fonctionnements actuels des majors. Et monsieur Pascal Nègre, il trouve cela normal que
seules 4 multi-nationales se partagent le gâteau musical de la planète ? Pas moi. Et cela
met peut-être son propos en perspective, dans le sens ou le pouvoir de leurs mastodontes
de l'industrie musicale est si grand, qu'il n'imagine même pas comment on pourrait juste
envisager de leur échapper !
J'espère bien, car je suis un naïf et un optimiste incurable, que le Net permettra
d'insuffler de nouveau un air de pluralité et de diversité réels dans le paysage musical
mondial, qu'il y a un avenir hors les géants du disque, et que tout ce qui est de qualité
et que ces majors ne signent pas parce que pas assez vendeur selon elles, trouvera sa
place.
La seule chose a organiser, c'est la visibilité des indépendants sur le Net, en créant de
vrais portails musicaux alternatifs, une dynamique nouvelle, en nous unissant. Et qu'on ne
viennent pas nous dire que ca ne marchera pas.
Pour info, en 98, sur
27 405 membres de la SACEM, 24 484 , soit 92,09 % des auteurs,
gagnaient en droits d'auteur, moins de 60 000 francs par an, en dessous du salaire
minimum donc.
Ca peut pas être pire, et ca coûte rien d'essayer de faire mieux !
O.Cathus : Actuellement, certains auteurs peuvent toucher 12% HT sur leurs oeuvres quand elles sont
sur des sites licites. Du fait de la dématérialisation, n'est-ce pas une somme dérisoire
(1,31 f) ?
Jean-Christophe Lemay :
Effectivement. d'autant plus qu'il me semble que ces sommes sont perçue de manière
forfaitaire, et pas encore au programme réel, et que cela va encore aller dans les poches
des plus gros revenus de la SACEM. Ceci dit, c'est un début, et c'est bien que ces
diffuseurs jouent le jeu de cette phase test.
©
O-Cathus - Saceml - WebMusic 21/9/2000
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